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MECANISME DE FIXATION DES PRIX DU CACAO : POURQUOI LE CAMEROUN A UN PRIX PLUS ELÉVÉ ?

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Alex Assanvo, Secrétaire Exécutif de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana, parle de l’Initiative Cacao et explique le système de commercialisation camerounais.

Dans cette interview qu’il nous a accordée, SEM Alex Assanvo, Secrétaire Exécutif de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana, dénonce une manipulation de l’information dans le système de commercialisation du cacao entre les pays membres de ladite Initiative et le Cameroun.

 

  • « Le marché du cacao Camerounais a une structure différente ».
  • « On peut affirmer que les deux Chefs d’Etats ont eu raison d’initier cette coopération entre la Côte d’Ivoire et le Ghana ».
  • « La Côte d’Ivoire et le Ghana ont un rôle d’appui aux producteurs et de stabilisation des prix ».
  • « Il est temps qu’on commence à revenir un peu sur les réalités de comparaison ».

 D’où vient, M. le Secrétaire Exécutif, l’idée de la mise en place de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana ?

Qui est Mr. Assanvo ?

Alex Arnaud Assanvo a une longue expérience et une forte connaissance de la filière cacao et de l’industrie chocolatière. En effet, avant sa nomination en tant que Secrétaire Exécutif de l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana, en 2021, il était le Directeur Mondial des programmes aux bureaux de Bruxelles de la multinationale américaine Mars Wrigley.

Il a commencé sa carrière en développement international au sein de l’agence allemande de développement (GIZ), en tant qu’expert en développement rural entre 2002 et 2006 à Dakar, au Sénégal.

En 2006, il a rejoint l’Organisation Internationale du Commerce Equitable (Fairtrade en anglais), en Allemagne, en tant que responsable pour l’Afrique et responsable stratégique pour le cacao et le coton. D’octobre 2011 à 2013, il fait partie de l’équipe Développement durable et provisionnement de Kraft Foods, basé en Allemagne, aujourd’hui Mondelēz International, en tant que responsable du développement durable du cacao.

Quel bilan pour l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana depuis sa création ?

AA : Tout d’abord, l’Initiative est née d’une vision. Celle des deux Présidents de la République de Côte d’Ivoire et du Ghana qui s’est matérialisée lors d’une rencontre sur le partenariat stratégique entre les deux pays en 2018.

Une déclaration conjointe a donc été faite le 28 mars 2018 à Abidjan : appelée « Déclaration d’Abidjan », où les deux chefs d’États, SEM Alassane OUATTARA, Président de la République de Côte d’Ivoire et SEM Nana Addo Dankwa AKUFO-ADDO, Président de la République du Ghana ont lancé les bases de la coopération en matière de cacao, avec pour objectif principal l’amélioration des revenus des producteurs de cacao de leurs pays.

Sous l’impulsion des deux chefs d’États, les organes de gestion de la filière cacao que sont Le Conseil du Café-Cacao et le Ghana Cocoa Board ont eu de nombreuses rencontres et mené des travaux conjoints sur plusieurs fronts essentiels, au premier rang desquels, la mise en œuvre du Différentiel de Revenu Décent (DRD), la définition d’un prix plancher rémunérateur comme condition nécessaire de la durabilité, la lutte contre le Swollen Shoot, la gestion de la production avec l’engagement des deux pays de ne pas dépasser une production cumulée de 3,2 millions qui n’est pas encore atteinte et l’harmonisation des systèmes de vente.

Afin de mieux coordonner leurs actions en ce sens, les deux Gouvernements ont créé et mis en place l’Initiative Cacao Côte d’Ivoire-Ghana (ICCIG). Dotée du statut d’organisation régionale et d’une Charte, l’Initiative tient son siège à Accra, au Ghana. Son premier Secrétaire Exécutif que je suis, est de nationalité ivoirienne et a été nommé en Conseil des Ministres le 8 janvier 2021 à Abidjan.

Mise en place dans un contexte du marché du cacao très tendu, la coordination et la collaboration entre les deux pays a permis d’obtenir des résultats essentiels pour un meilleur revenu des producteurs.

Au niveau du marché, le rapport de force a évolué avec la mise en œuvre du DRD.

La mise en place du Différentiel de Revenu Décent (DRD) a été l’occasion, pour la Côte d’Ivoire et le Ghana, de démontrer que les deux pays étaient capables de se donner les moyens d’accorder au producteur le fruit juste de son labeur.

Pour rappel, le mécanisme de prix, appelé DRD ou LID en anglais, est une prime de 400$ US payée sur chaque tonne de cacao achetée en Côte d’Ivoire ou au Ghana et directement reversée aux producteurs. Le DRD permettant d’atteindre un prix plancher a survécu aux attaques, aux critiques, aux tentatives de contournements. Mieux, l’idée d’un prix plancher qui lui est associée est en train de s’imposer au-delà de la cacaoculture.

A travers la mise en place DRD, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont pu démontrer que les lois du marché n’étaient pas immuables et ont réussi à imposer des changements notables :

  • La publication mensuelle par l’Initiative du différentiel pays permet ainsi d’éviter toute manipulation. C’est une première à la bourse de Londres et New York ;
  • Le rapprochement entre les salles de marchés et l’harmonisation des politiques de vente entre les deux pays ont permis, avec succès, l’annonce coordonnée du prix au planteur à chaque campagne cacaoyère.

Au niveau de la production, les deux pays ont lancé plusieurs chantiers importants en cours :

  • La décision de plafonner leur production cumulée à 3 200 000 tonnes de cacao par campagne jusqu’à ce que la demande s’accroisse ;
  • La mise en place de systèmes nationaux de traçabilité fiables, basés sur le recensement des planteurs et la géolocalisation des parcelles permet d’assurer une transparence sur toute la chaine de commercialisation ;
  • L’engagement des deux pays pour développer et mettre en place la Norme Africaine pour le cacao durable et traçable (ARS 1000) ;
  • La mise en œuvre d’actions conjointes entre les deux régulateurs pour renforcer la lutte contre les fuites transfrontalières du cacao ;
  • Le renforcement de la collaboration entre le Centre National de Recherche Agricole (CNRA) et l’Institut de Recherche du Cacao du Ghana (CRIG), avec un accent sur l’adaptation de la cacaoculture aux effets du changement climatique et la lutte contre la maladie du Swollen Shoot du Cacao.

À travers l’Initiative Cacao, les deux pays ont tenu bon et ont réussi à réaffirmer leur vision afin de remettre le producteur au centre de la chaîne de valeur du cacao et de le rémunérer à hauteur de ses efforts et de ce que représente le cacao aujourd’hui.

Grâce à cette collaboration, le prix au producteur en Côte d’Ivoire et au Ghana, reste sur une trajectoire stable et croissante dans un contexte marqué par l’instabilité.

Aussi peut-on affirmer que les deux chefs d’États ont eu raison d’initier cette coopération.

Ce partenariat stratégique et historique entre les deux pays reste une première sur le continent, et est devenu une référence qui sert d’exemple au-delà du cacao.

Comment l’Initiative fonctionne-t-elle ?

AA : En terme de gouvernance, le Comité de Pilotage est l’autorité suprême de l’Initiative, composé du ministre chargé des affaires cacaoyères dans les pays membres, du directeur général de l’organe de régulation dans les pays membres, des présidents et vice-présidents des comités techniques (Recherche et Commercialisation).

L’Initiative fonctionne simplement et purement avec l’appui des experts et techniciens des deux pays, de façon permanente et régulière à travers les comités. Comprenez que l’Initiative, c’est une toute petite équipe avec beaucoup d’experts, composée de plusieurs commissions stratégiques, recherches, développements, etc.

 Comment expliquez-vous que le Cameroun arrive à fixer un prix élevé par rapport aux pays membres de l’Initiative ?

AA : Tout d’abord, il est important de rappeler que chaque pays est souverain et adopte son système de vente en fonction de ses objectifs. Mais sachez que, si le trading était si simple, tout le monde serait trader. Je veux dire par là qu’il s’agit d’une mécanique complexe avec beaucoup d’éléments à prendre en compte, mais allons au plus simple :

En Côte d’Ivoire et au Ghana, la filière cacao est administrée par les pouvoirs publics. Ces derniers jouent plusieurs rôles, notamment, celui de contrôler l’accès des opérateurs privés (nationaux et internationaux) aux différentes fonctions/métiers de la filière, de l’achat bord champ (directement au paysan) à l’exportation, en passant par la transformation et la fourniture d’intrants.

Les régulateurs jouent le rôle de stabilisateurs, car beaucoup de gens oublient que cela fait des décennies que les prix du marché sont en-dessous des coûts basiques de production et, en cela, la collaboration des deux pays (Côte d’Ivoire et Ghana) a permis de remettre les choses en ordre. Ce qui veut dire que, ces dernières années, cette stabilisation des prix a permis de protéger les planteurs des prix très bas

Le gouvernement ivoirien, via Le Conseil du Café-Cacao, fixe un prix plancher chaque année pour garantir aux producteurs un revenu minimum, quelles que soient les fluctuations des cours sur les marchés mondiaux. Cette politique assure aux producteurs une stabilité financière et réduit l’incertitude liée aux variations à la baisse des cours. Il faut aussi rappeler que Le Conseil du Café-Cacao a également mis en place un fonds de stabilisation pour compenser les baisses importantes des prix du cacao sur le marché international. Cela permet d’amortir les chocs économiques pour les producteurs.

Au Cameroun, nous avons un tout un autre système qui est une libération totale. Contrairement à la Côte d’Ivoire, le Cameroun n’a pas de mécanisme de prix garanti et ne fixe pas de prix plancher garanti pour ses producteurs, ce qui signifie que les prix fluctuent davantage en fonction des forces du marché et des négociations entre producteurs et acheteurs. D’ailleurs, les prix fixés au Cameroun sont les prix export – FOB (Free on board) qui signifie que le vendeur fournit les marchandises sans frais de transport et assurance et CAF (Coût, Assurance Fret) qui signifie un prix à la frontière du pays importateur avant acquittement de tous les impôts et droits sur les importations et paiement de toutes les marges commerciales et de transport dans le pays –, alors qu’en Côte d’Ivoire et au Ghana les prix sont fixés « bord champ ».

Déjà, s’agissant de la différence du prix au Cameroun et en Côte d’Ivoire, vous en conviendrez, la majorité des journalistes compare trop souvent deux choses qui ne sont pas au même niveau.

Pour l’année 2023, par exemple, les prix bord champ du cacao au Cameroun variaient généralement entre 900 FCFA et 1 100 FCFA/kg, selon la qualité du cacao et la région de production. Les fluctuations sont influencées par l’offre et la demande locale, ainsi que par la qualité du cacao produit. On est loin des 5000-6000 FCFA annoncés et mentionnés dans plusieurs journaux !

A la même période, en Côte d’Ivoire et au Ghana, un prix stable garanti par le Gouvernement de 1 000 FCFA/kg a été donné aux producteurs pour la campagne principale 2023-2024.

Vous comprenez que, techniquement, il y a une mauvaise information qui, certainement, est liée à des effets d’annonces.

Le prix aux producteurs en Côte d’Ivoire est généralement plus stable, grâce à l’intervention gouvernementale, tandis qu’au Cameroun, les producteurs peuvent bénéficier de meilleurs prix ponctuellement, en fonction de la qualité et des conditions du marché, mais sont également exposés à plus de risques dus à la volatilité du marché.

Il est important de clarifier les choses et de sortir de l’émotion.

Quoi qu’il en soit, tout cela montre bien que, s’agissant du cacao tout particulièrement, nous sommes dans des marchés complexes et, par conséquent, que tous les pays producteurs doivent se mettre ensemble pour faire changer ces mécaniques de prix défavorables.

N’est-ce pas une manipulation de l’information ?

AA : Comme je vous le disais, le débat sur le système de vente du Cameroun semble confus, cela n’empêche que tout système doit être respecté. En revanche, selon moi, il faut éviter de piéger les lecteurs dans des chiffres qui ne reflètent pas la réalité et d’ailleurs, il y a certainement une raison pour laquelle, dans ce pays, la production reste planchée depuis des années.

C’est le lieu de rappeler que le Cameroun a signifié son intérêt à rejoindre l’Initiative Cacao il y a déjà un an et nous espérons que, bientôt, nous pourrons reprendre les discussions. Car, face à un marché instable – dont nous observons déjà une baisse des prix de la bourse de Londres –, être ensemble nous rendra plus forts alors que, rester divisés, nous affaiblis.

C’est la raison pour laquelle, avec le Nigeria, nous avons également entamé des discussions relativement à leur intégration dans l’Initiative. Bien sûr, tout cela prend du temps mais je reste persuadé que le futur nous ramènera tous à la même table pour un cacao qui sera rétribué en fonction des vrais coûts de production et en incluant la profitabilité. Nos objectifs communs sont surtout de faire en sorte de garantir un meilleur prix rémunérateur qui couvre les coûts de production et une stabilité dans un marché spéculatif.

Devant nous, se dressent de véritables défis que nous devons relever : la lutte contre les effets du changement climatique, l’amélioration des structures des marchés à termes et des mécanismes de prix stables afin de promouvoir un cacao durable pour tous. Ensemble, je ne doute pas que nous puissions y arriver.

Réalisée par

Evariste N’Guessan

Stéphane DIBI

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