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Dr. Yté Wongbé (DG du CNRA): ‘’Nous avons mis au point le café émergent qui produit au bout d’un an’’

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Dr Yté Wongbé, Directeur Général du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA)

Le Docteur d’Etat en Sciences naturelles qui conduit les rênes de l’un des plus grands centres de recherche du pays, depuis fin 2012, livre quelques secrets de son institution et dégage des perspectives.

  1. le directeur général, pouvez-vous nous parler des résultats des dernières recherches que votre centre a entrepris ?Je voudrais avant tout indiquer que le Cnra travaille sur toutes les spéculations mises en culture en Côte d’Ivoire. Et nous ne sommes pas cantonner sur un ou deux produits spécifiques. Nos recherches s’inscrivent dans le projet de développement de la Côte d’Ivoire, en s’appuyant sur les stratégies mises en place par l’État ivoirien.
    Aujourd’hui, l’anacarde prend de plus en plus d’importance et nous y mettons un accent particulier. Notamment, sur les techniques de greffage en vue de booster sa productivité. Dans la mesure où la Côte d’Ivoire est présentement le premier producteur mondial de noix brute de cajou. Et l’enjeu est que nous devons transformer au moins 55% de la production d’ici à 2020-2025.
    A côté de l’anacarde, les autres spéculations sont au cœur de nos recherches. A l’instar de la lutte contre le Swollen shoot dans le cacao en vue de trouver les meilleures méthodes pour éradiquer cette maladie. Au niveau du palmier à huile, nous sommes à la troisième génération de plants pour mieux valoriser et augmenter la productivité, le rendement à l’hectare et l’huile extraite.
    Cette variété produit jusqu’à 30 tonnes de graines de palme à l’hectare. Et un industriel de la place s’est déjà engagé à faire des essais en grandeur nature avec cette variété de palmier à huile sur nos stations dans la localité de Divo. Ce qui permet au grand public de voir de près les résultats de nos recherches avant de l’élargir à tous les producteurs.
    Sans ignorer que nous continuons à travailler dans le cadre de la sécurité alimentaire sur toutes les spéculations vivrières. Ce qui est d’une importance capitale dans les travaux de recherches du Cnra.
    Et qu’avez-vous trouvé d’autres ?
    Nous avons mis au point une nouvelle variété de café baptisée « Café émergent », et ce nom a été donné par la Première dame, Dominique Ouattara. Ce café va permettre de booster, dans les années à venir, la production caféière du pays. Puisque la Côte d’Ivoire travaille sur la relance de sa production et a besoin d’un certain nombre d’éléments pour réussir ce challenge.
    Nous sommes aussi interpellés sur la question de la foresterie dans la mesure où le patrimoine forestier ivoirien a été pratiquement dévasté. L’ambition de la Côte d’Ivoire étant de reverdir son potentiel, il faudrait disposer d’un certain nombre d’essences et de semences pour le reboisement. C’est l’un des objectifs clés du ministère des Eaux et Forêts. Et nous nous attelons à travailler sur ce sujet.
    N’oublions pas le contexte du changement climatique qui exige que toutes les variétés et techniques mises au point par le Cnra tiennent compte de cette contrainte majeure. Ce qui permet aux acteurs de produire mieux et sur des surfaces réduites.
    Mais, quelles sont les spécificités de ce café dit émergent ?
    C’est un café à croissance lente et un rendement précoce. Si vous le plantez aujourd’hui, il commence à rentrer en production douze mois après. C’est-à-dire au bout d’un an seulement, contrairement aux autres variétés qui prennent en moyenne cinq ans. Pour permettre aux producteurs d’en disposer, nous avons commencé à réaliser des champs semenciers qui seront disponibles sur l’étendue du territoire dès 2020. Cette variété de café a de grosses cerises et aptes à être utilisées dans l’industrie caféière. Et cela répond bien aux besoins des agro-industriels.
    Sachant qu’il y a une forte pénibilité à cultiver le café dans nos champs, cette variété a une hauteur modérée (environ 1 mètre) avec une croissance lente qui permet de l’exploiter sur 10 ans sans difficultés majeures. Et nos femmes peuvent même s’assoir pour récolter ses cerises.
    Quels sont les secteurs prioritaires dans lesquels le Cnra travaille aujourd’hui ?
    Nous travaillons en fonction des objectifs de développement de la Côte d’Ivoire, donc du ministère de l’Agriculture et du Développement rural. Et très bientôt (en 2019), nous allons achever notre cinquième Plan programme de recherche, faire le bilan puis travailler sur la sixième génération de nos programmes. Après ce bilan, nous allons aller vers le gouvernement, les industriels, les producteurs…pour recenser leurs besoins. Et ils vont être traduits en programmes de recherches pour répondre aux objectifs de productivité, de rentabilité, de la lutte contre le changement climatique, de la sécurité alimentaire (le riz, le maïs, la banane plantain,…). Ce qui permettra de produire en qualité pour accroître la richesse dans le pays.
    Vous venez de toucher à un point très important, l’autosuffisance en riz. Est-ce que les chercheurs que vous-êtes, n’avez pas encore trouvé la solution pour produire suffisamment de riz pour nourrir tous les Ivoiriens ?
    Je voudrais rappeler qu’en 1970, la Soderiz a été créée et le pays était à cette époque non seulement autosuffisante en riz mais mieux, exportatrice de riz. Ce qui voudrait dire que nous avons les variétés et les technologies nécessaires pour produire tout le riz que les Ivoiriens consomment. C’est une question de volonté politique qui dépasse la compétence des chercheurs.
    Qu’est-ce à dire ?
    Cela veut dire que nous avons les variétés, les semences, la technologie qu’il faut aussi bien pour le riz de bas-fond que le riz pluvial avec des rendements importants. Si la Côte d’Ivoire décide demain de ne consommer que du riz « made in Côte d’Ivoire », nous avons tous les éléments qu’il faut pour y arriver. Et le Cnra est prêt à relever ce défi.
    Lorsqu’on prend le palmier à huile, vous avez parlé de variété produisant jusqu’à 30 tonnes de régimes à l’hectare. Pourtant, les producteurs villageois sont à un rendement très faible de 7 à 8 tonnes à l’hectare. Comment expliquez-vous cette situation ?
    La raison est que les ressources financières engrangées par les paysans restent jusque-là modestes. Alors que quand une variété est mise au point et vulgarisée, elle va avec un package de technologies. C’est-à-dire l’engrais, les méthodes culturales… Si nos parents n’ont pas les moyens pour acquérir ces packages, il va s’en dire qu’ils ne pourront pas être performants. Par contre, les industriels qui ont les ressources arrivent facilement à tirer profit des résultats de nos recherches pour atteindre les 15 à 20 tonnes à l’hectare.
    Ce n’est pas parce que les producteurs villageois n’ont pas accès à nos variétés. Dans la mesure où 1 à 2 millions de tonnes de graines germées sont vendues aux producteurs villageois par an, à partir de notre centre de production des semences de palmier. Tout en ne perdant pas de vue que la production nationale de l’huile de palme repose essentiellement sur les planteurs villageois.
    Il leur suffit d’avoir les moyens pour mettre en œuvre toute la technologie préconisée pour booster la rentabilité de leurs plantations. Et s’ils arrivent à atteindre en moyenne 10 tonnes à l’hectare, cela va accroître considérablement la production nationale. Aussi faudrait-il relever qu’il ne suffit pas de produire mais l’on doit avoir en face la capacité de transformation équivalente. Tel est le cas de la banane plantain, le manioc, etc.
    Mais, le palmier à huile ne semble pas être concerné ?
    Je vous invite à aller voir ces industriels qui transforment les graines en huile de palme. Et vous comprendrez que par moment, les capacités de leurs usines ne suffisent pas. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place les variétés et les accompagnons d’un certain nombre de conseils agricoles et de technologies pour faire face à tout un écosystème.
    Vos recherches ont permis la conception de plusieurs produits finis comme les liqueurs à base de café, de cacao, de gingembre, etc. Mais, pourquoi ces produits ne sont pas visibles dans les grandes surfaces ?
    Il y a deux à trois années de cela, nous avons arrêté la commercialisation de ces produits. Parce que les stocks disponibles étaient arrivés à épuisement. Nous recherchons actuellement des industriels qui pourraient investir dans la production à grande échelle. Notre mission est de mettre en place les processus et faire en sorte que les industriels puissent prendre le relais. Cette année, il est question de travailler sur cet aspect des choses pour accroître les revenus du Cnra.
    Les chercheurs ivoiriens de façon générale sont confrontés à des problèmes de financement. Qu’en est-il au Cnra ?
    Chaque année, nous consacrons environ 2,5 milliards F Cfa au financement de la recherche. Mais, cela n’est pas suffisant parce que la recherche scientifique coûte chère. Nous continuons donc à rechercher des financements à travers des projets et notamment avec les bailleurs de fonds. A Maputo et à Abuja, la Cedeao avait demandé à ses Etats membres de consacrer 1% de leur Produit intérieur brut (Pib) à la recherche.
    Lorsqu’on prend le Brésil, la Corée, le Vietnam, ceux qui émergent, leur succès vient du financement de la recherche, la base de leur décollage. Et ces pays mettent 3 à 4% de leur Pib au profit de la recherche. En 1960, la Côte d’Ivoire était au même niveau de développement que la Corée. Mais, nous ne pouvons pas nous comparer aux Coréens aujourd’hui parce que leurs dirigeants ont consacré 4 à 5% de leur Pib à la recherche et la technologie.
    Le Cnra a la volonté et la capacité d’aller beaucoup plus loin dans la recherche agronomique. Et le gouvernement ivoirien y travaille. L’espoir est alors permis… Car, le Cnra joue un rôle extrêmement important dans le développement du pays. Dans la mesure où l’économie nationale est basée sur l’agriculture. Il faut alors aider le centre qui travaille sur toutes les spéculations agricoles à aller de l’avant.
    Ce qui a conduit à la restructuration du Cnra ?
    Oui… Car, depuis 2003, le Cnra a traversé d’énormes difficultés financières après le retrait de la Banque mondiale. Fort de cela, le conseil des ministres a, à sa séance du 6 décembre 2017, pris des résolutions pour l’aider. Un groupe de travail a été mis sur pied et a travaillé du 1er janvier au 30 mars 2018. Ce qui a abouti à une communication en conseil des ministres, en mai 2018. Laquelle a reconnu le Cnra comme chef de file de la recherche agronomique en Côte d’Ivoire. Et l’Etat a en même temps décidé de changer son statut juridique pour en faire une société d’Etat ou une Société à participation financière publique majoritaire.
    C’est dire que le capital qui était jusque-là de 500 millions F Cfa (détenu à 40% par l’Etat et 60% par les privés) va être inversé. L’Etat aura donc 60% contre 40% pour le secteur privé.  Cela va se faire avec un certain nombre d’investissements pour la sécurisation du patrimoine du centre, l’assainissement des financements,… Puisque nous avons de nombreuses dettes fiscales et non fiscales. Ensuite, il faudrait valoriser les chercheurs eux-mêmes à travers les grades du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames).
    Le Cnra est dans le processus de cette restructuration pour ainsi avoir beaucoup plus de moyens de financer ses recherches. C’est l’Etat de Côte d’Ivoire qui en a décidé ainsi… Et le Cnra devrait être en mesure de s’autofinancer autour de 46% à l’horizon 2023-2024.
    Hormis l’Etat, comment comptez-vous générer ces fonds ?
    Nous comptons créer des filiales de production et des services qui vont être vendus. Le Cnra va alors valoriser au mieux les résultats de ses recherches pour engranger des ressources financières additionnelles.
    Mais, est-ce que vous n’aviez pas cette possibilité par le passé ?
    Oui, mais cela n’était pas suffisant…
    Pour finir, dites-nous vos grands chantiers sur les cinq à dix prochaines années. Et  quel est votre rêve pour le Cnra ?
    Les grands chantiers portent sur la restructuration qui démarre cette année. L’occasion d’adresser nos remerciements au Président de la République, Alassane Ouattara, qui est resté sensible aux difficultés du Cnra et a permis à l’Etat de s’y investir davantage. C’est une initiative fortement louable qui va permettre la modernisation de nos laboratoires de recherche, nos outils de travail, la création des filiales de production, etc.
    N’oublions pas que le Cnra est une référence pour la sous-région et beaucoup de pays veulent nous copier. C’est la raison pour laquelle cette restructuration arrive à point nommé pour que nous ayons les moyens en vue d’être toujours les meilleurs.
    Mon rêve est que ce centre soit l’outil par excellence de la recherche qu’il faut à la Côte d’Ivoire pour son développement. Et des chercheurs bien habillés. C’est-à-dire des chercheurs qui sont à l’aise pour travailler avec des équipements leur permettant de s’exprimer et mettre en valeur tout leur potentiel. C’est d’avoir un centre qui bénéficie de financements adéquats pour ses activités et ne dépende pas forcément de l’extérieur.
    Certes, je vois la Côte d’Ivoire mais je vois bien plus loin, la sous-région et toute l’Afrique. Car le Cnra doit être capable avec les résultats de ses recherches de nourrir tout le continent. A l’exemple du Brésil qui consomme la quasi-totalité de sa production de café, il faudrait que la Côte d’Ivoire arrive un jour à en faire autant aussi bien pour le café, le cacao que les autres produits agricoles pour atteindre ses objectifs de développement. Ce qui permettra aux Ivoiriens d’être à l’aise à tout point de vue.

Source : Fratmat.info

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